Massothérapie

« Ça enlève notre armure »

C’est l’effervescence à 11 h du matin à la Maison Olga, centre d’accueil principal de l’organisme La rue des Femmes, spécialisé dans l’accompagnement de l’itinérance féminine.

Comme chaque jour, les lieux sont en situation de surpopulation. Les 20 chambres sont pleines, et les 3 lits d’urgence ont dû se transformer en 12 places, bon an, mal an. « En hiver, il y a encore plus de monde, mais c’est un peu comme ça à longueur d’année », confie en souriant Jocelyne Lafleur, intervenante pour La rue des Femmes depuis 1989 et massothérapeute affiliée à la Fédération québécoise de massothérapie. Au sous-sol, elle a son local. À l’intérieur, le strict nécessaire, une table à masser, un petit poste qui diffuse de la musique douce, une planche d’anatomie au mur. Largement suffisant pour que l’endroit soit reconnu comme un véritable havre de paix par la dizaine de femmes que reçoit Jocelyne chaque semaine.

Aujourd’hui, c’est au tour de Sylvie Rouleau de profiter de ce moment particulier : « Quand je suis arrivée ici, il y a une dizaine d’années, je n’étais même pas capable de me faire toucher. » Jocelyne écoute, approuve du regard, elle qui connaît le parcours de chacune et peut mesurer le chemin parcouru. 

« La massothérapie leur permet de reconnecter d’abord avec le simple fait qu’elles existent physiquement. C’est un moyen, parmi d’autres, de se réapproprier son corps. » —Jocelyne Lafleur

Sa « disparition », Sylvie peut même la dater : « Quand je n’ai plus eu de domicile à moi, j’ai eu l’impression de ne plus exister. »

LE TABOU DU TOUCHER

L’expérience vécue de l’itinérance, Jocelyne la lit dans le corps des participantes qui prennent part à l’activité pour la première fois : « On sent tout de suite l’impact de la rue chez ces personnes qui sont en état de survie. Le niveau de stress est à 10 sur 10, tellement haut que beaucoup d’entre elles ne s’en rendent même plus compte. » Les mains, le cou, les pieds, Jocelyne travaille chaque partie du corps : « Quand on arrive aux pieds, il y a souvent des choses qui se relâchent. Pour elles, un simple contact humain, c’est souvent quelque chose d’énorme. » 

En même temps que les tensions s’amenuisent, les souvenirs et les sentiments remontent à la surface, ce qui n’est pas toujours un moment facile. « Les mauvais souvenirs embarquent aussi », se contente de dire Sylvie. Car pour bon nombre de femmes que suit l’organisme, le toucher est devenu un sens presque tabou : « La violence qu’elles ont connue fait que les réactions peuvent être vives au début. Certaines peuvent se mettre à pleurer très rapidement, par exemple. » Mais dans le maillage que représente l’accompagnement global de l’organisme, la massothérapie n’est qu’un outil de plus pour créer un sentiment de sécurité, de confiance, étape primordiale pour la suite du processus. Sylvie peut en témoigner, elle qui a tissé un lien profond avec la massothérapeute au fil des années : « On a appris à se connaître. Avec elle, je ne me sens pas jugée. » Alors, durant la séance, la parole aussi se libère.

Sur la porte du bureau et dans les couloirs adjacents, on peut lire des phrases simples : « Aujourd’hui je vivrai le moment présent », ou encore « Je m’aime et je m’accepte inconditionnellement ». Des mots qui, en ces lieux, ne sont pas de simples mantras new age.

UN DÉFAUT DANS LA CUIRASSE

Après la séance, on retrouve Sylvie, prête à raconter son histoire. 

Elle parle alors de sa vie d’avant, son studio, son travail et, déjà, le défaut qu’elle sentait dans sa cuirasse : « Le stress et l’angoisse me poussaient dans un état de panique, j’ai alors fait un burnout. Je n’étais plus capable d’aller au travail, d’aller à l’épicerie, de sortir de chez moi. » Le cercle vicieux s’accélère alors, perte d’emploi, perte de logement, boisson, drogue…

Comment se sent-elle après sa séance ? « Légère, dit-elle en souriant. Aujourd’hui, grâce à ça, mon angoisse ne va plus jusqu’à des crises de panique. » Depuis trois ans, Sylvie a retrouvé un petit appartement et peut aujourd’hui vivre de manière autonome. Pourtant, elle continue à venir à La rue des Femmes. Pour la sécurité et l’écoute qu’elle y a trouvées, et aussi pour ces instants de légèreté dans le bureau de Jocelyne : « Ça enlève notre armure. » Un premier poids en moins.

Coiffer pour changer le monde

Depuis 10 ans, une fois par année en mai, La rue des Femmes organise une journée de coiffure et de maquillage pour une vingtaine de femmes. Depuis trois ans, l’événement se tient au salon Miss Coiffure, avenue Laurier. Durant une journée, les participantes sont au centre de l’attention, un outil de plus offert par l’organisme pour qu’elles reprennent confiance en elles, au moyen de leur apparence, après l’expérience de la rue. Un outil d’ailleurs si efficace que les demandes sont nombreuses. C’est pourquoi La rue des Femmes cherche d’autres salons pour offrir à plus de femmes cette journée privilégiée.

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